CONFERENCE GRAND-HORNU
UMONS - POLYTEC - GAU
CID - Centre Impression & Design
UMONS - Faculté architecture
ARTS2
VIVRE ENSEMBLE
L'IMPARFAITE UTOPIE ?
A. Sabbe (Org.)
M. prégardien (org.)
Cette journée de conférence entend questionner le ‘’vivre ensemble’’ au travers de contributions multidisciplinaires en posant les contraintes, difficultés, réalités du vivre-ensemble, en appelant des contributeurs de divers horizons, des acteurs de terrain à même de croiser les points de vue sur ce thème et de dégager les conditions politiques, architecturales et urbanistiques indispensables à la construction permanente de la société multiculturelle.
Le ‘’vivre ensemble’’ est une notion très actuelle, politique, centrale à toute société démocratique visant à l’intégration harmonieuse des individus... une utopie à atteindre ou tout simplement une utopie... (?) Or ce terme d’utopie renvoie à une double étymologie qu’il est utile de questionner lorsque l’on convoque le ‘’vivre ensemble’’ : ou topos, lieu en-dehors et eu topos, lieu du bon. Faut-il en conclure que le lieu du bien-vivre serait un lieu à part ?
À observer nos sociétés démocratiques, il est aisé de constater qu’elles ont tendance à se distendre entre deux extrêmes : la conception libérale qui considère l’individu comme autonome, la conception identitaire qui se fonde sur l’appartenance des individus à des communautés spécifiques, distinctes par leurs propres valeurs. Or ces deux conceptions répondent aux mêmes mé-canismes : celui de la fermeture sur soi et de l’intolérance aux autres. Lorsque l’individu est garant de ses propres valeurs et lois ou lorsqu’une société en- tend se prévaloir de valeurs inaliénables fondant son identité communautaire, chacun est dans une optique d’entre-soi. Aucun espace politique n’a de chance de s’ouvrir dès lors qu’un individu ou un groupe d’individus s’approprie la loi (S. Agacinsky) : la loi, c’est moi – individu ou société identitaire – et je fais forcément corps avec moi-même. Aussi toute critique devient-elle vaine et tout espace de dialogue devient inutile, car soit il n’y a pas de valeur commune critiquable, soit les valeurs identitaires qui fondent la société ne peuvent faire l’objet de critiques. L’autre devient, dans tous les cas, problématique, car il questionne, par son apport personnel, nos propres valeurs, notre stabilité personnelle ou identitaire. Aussi, les stéréotypes, les préjugés ne sont, d’une certaine façon, que les mécanismes de défense dont les sociétés s’arment pour se prévaloir de l’autre, pour l’empêcher de critiquer ses valeurs, pour conserver cet entre-soi qui s’oppose au vivre ensemble.
Or, c’est bien la problématique de toute utopie : se pensant en-dehors du lieu, se pensant en-dehors d’une réalité complexe, se pensant sans confrontation, s’imaginant détenir les valeurs d’une société parfaite et idéale, elle favorise les stéréotypes et les préjugés, elle n’offre pas les conditions du questionnement de nos représentations que le vivre ensemble ne cesse de bousculer. D’où cette question : l’utopie est-elle le bon moyen de penser le vivre ensemble ? L’échec de nombreuses utopies n’est- il pas à trouver dans cette difficulté à prendre en main l’imprévu, l’inattendu, l’imperfection... et à leur donner une place au sein de nos valeurs et de nos systèmes de pensée ?
En ce sens, il est aisé de comprendre en quoi l’omniprésence de l’architecture et l’absence d’espace public sont centrales dans nombre d’utopies : l’une comme concrétisation de la pensée utopique, parfaite et définitive, l’autre comme le corollaire de l’impossibilité laissée aux individus de remettre en question l’idéal de la pensée utopique. Comme le note, par exemple, Dominique Rouillard dans son ouvrage Superarchitecture.
Le futur de l’architecture 1950-1970, à propos de la Non Stop City du groupe Archizoom, « la saturation donne à voir l’espace coercitif, entièrement planifié de la communauté utopique, sans vide, sans temps mort ni espaces lacunaires’’. Puisque, dans la communauté utopique, le peuple fait corps avec le pouvoir, il n’y a pas lieu de penser autrement la so- ciété, si bien que l’utopie possède ceci de paradoxal qu’elle ne peut engendrer autre chose qu’elle-même car elle ne possède pas l’écart nécessaire au questionnement sur ses propres structures, elle ne peut envisager la possibilité de l’imprévu, de l’imperfection. Dans cette perspective, l’architecture, garante de l’autorité, pose des questions étymologiques fondamentales et l’espace public, indéfini par nature, devient le lieu central de l’imperfection et, par extension, de la possibilité du ‘’vivre ensemble’’.